Un métier « facile », avec trop de vacances et pas assez d’heures passées devant la classe. Chacun à leur tour, de futurs enseignants présentent la vision que la société se fait du métier d’enseignant. L’objectif du cours est de faire émerger les craintes et les motivations des étudiants à l’égard du métier auquel ils se destinent. A une exception près, les 19 étudiants de première année martèlent que la profession souffre d’une image négative.
« Mes parents disent que les profs sont payés à ne rien faire », Gauthier.
« Ils ne voient pas tout le travail qu’il y a à réaliser en dehors de la classe », avance Henri.
« Le métier est de plus en plus complexe ».
Il s’agit de la voie que Gauthier, Henri et leurs 17 camarades de classe ont pourtant choisie.
A Leuze-en-Hainaut, la Haute Ecole Louvain en Hainaut forme quelques centaines de futurs enseignants. Comme ailleurs, l’établissement enregistre une baisse notoire des inscriptions en cette rentrée 2024.
« Evidemment, le nombre d’élèves inscrits est une source d’inquiétude avant chaque rentrée », concède Jean-Pol Lauwens, enseignant à la HELHa.
Entre les années académiques 2014-2015 et 2023-2024, le nombre d’inscrits pour la première fois est passé de 6.261 à 4.455 étudiants pour l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Soit une diminution de 28,8 % en moins de dix ans. Ce nombre inclut les étudiants des sections 1, 2 et 3, anciennement appelés instituteurs préscolaires, instituteurs primaires et agrégés de l’enseignement secondaire inférieur.
Le désintérêt des jeunes pour les études d’enseignant s’est largement accentué à la suite de la Réforme de la formation initiale des enseignants (RFIE), qui a fait passer la durée des études de trois à quatre ans, portant le grade académique à un niveau de master. Ainsi, rien qu’entre 2022-2023 et 2023-2024, l’effectif de primo-arrivants a chuté de 17,6 %. D’après les données collectées par l’ARES (Académie de recherche et d’enseignement supérieur), c’est dans la section 2 que la baisse est la plus importante. A noter que les données sont issues de deux sources différentes.
« Les données de 2023-2024 proviennent d’une collecte rapide réalisée auprès des hautes écoles », précise l’Ares. « Cette collecte sera renouvelée cette année pour 2024-2025. Les premiers résultats devraient être disponibles fin novembre. »
Devant les députés, la Ministre-Présidente en charge de l’Enseignement supérieur Elisabeth Degryse (Les Engagés) a annoncé une « nouvelle baisse significative des inscriptions » alors que son gouvernement MR-Engagés a fait de la lutte contre la pénurie sa priorité. Les inscriptions à l’examen de maîtrise de langue française, facultatif mais dont la réussite valide un cours de cinq crédits, laisseraient présager une baisse de 30 % par rapport à l’an dernier. La chute serait plus marquée au sein de la section 3 alors que les deux autres sections se stabiliseraient. Une tendance confirmée par l’ensemble des acteurs de terrain contactés.
« C’est la bérézina avec des sections 3 qui comptent entre dix et vingt étudiants, voire moins de dix, ce qui est fort préoccupant », pointe Denis Dufrane, directeur-président de la Haute école en Hainaut (HEH).
« Cette tendance a une incidence sur le moral des troupes qui ont énormément travaillé pour mettre en œuvre la RFIE. Avec la réforme, le financement a été gelé pour trois ans, mais d’ici un an, des enseignants pourraient perdre des attributions, à moins qu’ils ne soient réorientés vers les sections 4 qui formeront les enseignants du secondaire supérieur à l’université, en collaboration avec les autres écoles. Quoi qu’il en soit, il faudra peut-être fermer des options, notamment celles qui concernent les nouveaux cours prévus par le Pacte d’excellence, comme la Formation manuelle, technique et technologique. »
Au-delà du passage à quatre années d’études, la formation offre désormais une codiplomation avec une ou plusieurs universités.
« Les nouveaux étudiants sont davantage au contact de la recherche scientifique, la formation colle mieux à la réalité des classes, les stages sont plus évolutifs », énonce Geoffrey Lenoir, coordinateur et maître-assistant en pédagogie à la HELHa. « Les enseignants ont eu la chance de repenser tout un dispositif, ils voient ça comme une opportunité ».
Ce qui semble satisfaire les nouveaux inscrits :
« Les cours dispensés en haute école sont davantage pratiques et ceux à l’université nous apportent un côté réflexif », résume Victoria (27 ans), étudiante à l’Henallux. « On nous apprend davantage à être de bons pédagogues. Quand on voit le taux d’abandons les premières années, on se dit que la réforme était nécessaire. »
« C’est un métier que je trouve très beau, qui m’a toujours intéressée », témoigne Cassandra. – D.R.
Pour Isabelle Sighel, directrice du domaine Education de la HELHa, la baisse des inscriptions vient plutôt d’une méconnaissance des possibilités d’emploi et des nouvelles attentes du Pacte d’excellence.
« Celles et ceux qui sortent du secondaire n’ont pas connaissance des nouveaux cours qui seront donnés et pour lesquels il est possible de se former. Le passage à quatre ans ne semble pas impressionner les jeunes. Par contre, ils pourraient être tentés par l’université, quitte à faire une année de plus. »
Alors que les jeunes sont de moins en moins nombreux à entamer un cursus pour devenir enseignants, des centaines d’étudiants continuent de s’y inscrire chaque année. Les raisons évoquées sont multiples : l’attrait pour la matière à enseigner, la transmission de connaissances et de valeurs, l’épanouissement des jeunes, le façonnement de la génération future.
« J’ai choisi ces études parce que j’ai un bon contact avec les enfants et c’est un métier que je trouve très beau, qui m’a toujours intéressée », témoigne Cassandra (21 ans), étudiante à la Haute Ecole Albert Jacquard.
Beaucoup ont puisé leur inspiration chez leurs professeurs ou leurs parents enseignants.
« Dans ma famille, tout le monde est prof. C’est comme un héritage », soutient Florine, étudiante à la HELHa.
« Une prof m’a sauvé la vie lorsque j’ai été harcelée à l’école. Elle a été comme ma deuxième maman, elle m’a aussi donné le goût de la lecture et de l’écriture. »
Pour certains étudiants, il s’agit d’une vocation. Pour d’autres, une décision de dernière minute ou de repli.
« Pendant un an, j’ai essayé un bachelier en chimie à l’université, je voulais être scientifique », indique Flavie. « Le niveau était tel qu’il pouvait mettre les gens en dépression. Je suis retournée vers l’enseignement, qui était mon premier choix en secondaire. »
En s’inscrivant à la haute école, Théo pensait s’en sortir avec trois années d’études, et non quatre. « Je ne savais pas quoi faire après ma rhéto, je devais bien m’inscrire quelque part. Je me suis dit que ça devait être un métier relax », dit-il avant d’assurer qu’il n’a pas d’a priori sur la profession.
» Les étudiants qui s’inscrivent sont conscients de la pénurie pour l’avoir vécue en secondaire » – Geoffrey Lenoir, Coordinateur et maître-assistant en pédagogie à la HELHa
Alors que la réforme du décret Paysage a resserré les règles de réussite, avec la nécessité notamment de réussir sa première année en deux ans (trois en cas de réorientation), Geoffrey Lenoir constate davantage de premiers choix. « On a des jeunes qui identifient tout de suite le rôle sociétal de la profession. Les étudiants qui s’inscrivent sont conscients de la pénurie pour l’avoir vécue en secondaire. »
A la suite du passage à quatre années d’études, très peu d’étudiants seront diplômés en 2026. « Ces étudiants sont certains de trouver du travail même s’ils ont aussi des échos de jeunes enseignants qui galèrent en cumulant des remplacements. Eux se disent qu’il n’y aura personne qui va sortir pendant un an et que la voie est toute tracée ».
Cet article a été rédigé par Charlotte Hutin, pour Le Soir.
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